LIBAN: LA REVOLUTION EST UNE FEMME
OCTOBRE 2019
Elles s’appellent Mirna, Jana, Joumana, Marie-Rose, Stéphanie ou encore Karma. Depuis le 17 octobre, elles ne quittent plus les rues de Beyrouth. Et si un parfum de révolution flotte sur le Liban, elles le clament haut et fort, les femmes n’y sont pas étrangères. Il faut dire que l’omniprésence des femmes au cœur du mouvement de protestation qui agite le pays ne passe pas inaperçue. Elles sont partout : sur les blocages d’axes routiers, dans les rues, haranguant les foules mégaphone au poing, au sein des organisations de premiers secours, dans les débats et les réflexions collectives...
À quelques pas de « l’Œuf » – un vestige de la guerre civile ressuscité par la jeunesse libanaise ces derniers jours –, un petit espace sous une tente leur a même été dédié. Marie-Rose Rahmé, qui milite ordinairement dans le Chouf, abonde : « Regardez ! Les femmes sont partout. Elles se tiennent même debout face aux groupes qui viennent pour nous interrompre. C’est une révolution pour le peuple libanais, mais aussi pour nous, les Libanaises. »
« Il y a autant d’hommes que de femmes dans les manifestations. À Beyrouth, à certaines heures, nous sommes même majoritaires. Nous nous emparons du destin de notre pays », s’enthousiasme Jana K., une jeune femme de 23 ans. « N’oublions pas quand même que la femme libanaise a toujours été très impliquée : certaines combattaient pendant la guerre [civile, de 1975 à 1990], d’autres travaillaient dans les hôpitaux, d’autres menaient des manifestations… », rappelle Joumana Konsol, 26 ans. Vendredi 25 octobre, la tension est à son paroxysme : environ 200 supporters du Hezbollah ont investi la place Riad el-Solh et de violents incidents ont éclaté avec les manifestants massés sur la zone. Des manifestantes se sont alors positionnées en première ligne, réalisant un cordon de sécurité près de celui des forces de l’ordre afin d’éviter de nouveaux affrontements.
19 novembre : alors qu’une proposition de loi d’amnistie générale doit être examinée au Parlement dès 7 heures du matin, des milliers de femmes et d’hommes venus de tout le pays bloquent les routes qui mènent à la place de l’Étoile. Les forces de sécurité nationales bouclent rapidement le quartier. La colère est immense : ce projet de loi doit notamment amnistier les cas de corruption, d’évasion fiscale et de crimes environnementaux commis par les responsables politiques. Des groupes tentent d’arracher les barbelés qui bloquent l’accès au Parlement. Si, depuis le début, les protestataires s’accordent à adopter une stratégie non-violente, des incidents éclatent avec l’armée tout au long de la matinée. La situation est extrêmement tendue. Des tirs de semonce sont rapportés du côté de l’armée. En fin de matinée, la foule exulte. Faute de quorum1 suffisant, la séance législative est reportée pour la seconde fois : déjà, le 12 novembre, le peuple était parvenu à empêcher la tenue de la séance.