
Alger est plongée dans une chaleur accablante. Pourtant, ce 5 juillet 2019, de partout les habitants de la capitale convergent vers le centre-ville. Par grappes, enroulés dans les couleurs du pays, ils finissent par ne former plus qu’un. Il n’est pas encore 14 heures sur la rue Didouche Mourad mais la portée historique de cette journée s’impose à tous. Les chants résonnent. Les frissons montent.

Si l’émotion est à ce point intense dans les rues d’Alger, c’est bien qu’il flotte dans l’air brûlant une saveur particulière : après 4 mois et demi d’une mobilisation intarissable — en dépit de la répétition des manifestations, des fortes chaleurs, du mois de jeûne ou des intimidations du pouvoir —, ce vendredi a le visage d’un rendez-vous entre les Algériens et leur histoire. D’autant que cette journée coïncide avec la célébration de l’indépendance du pays, qui verse ordinairement dans l’entre-soi des officiels et des militaires, celui-là même au sein duquel les Algériens n’ont pas leur place. Conséquence : le Hirak s’est certainement offert un de ses plus beaux tours de force depuis ses premiers rendez-vous, offrant une nouvelle bouffée d’oxygène à ses protagonistes.

Le matin de ce 5 juillet, les forces de l’ordre quadrillent Alger de façon militaire, occupant les points les plus stratégiques de la ville. Au milieu de la matinée, la volonté des autorités de réduire au maximum la mobilisation semble presque récompensée : les premières vagues de manifestants sont cantonnées sur les trottoirs des alentours de la Grande Poste, pourtant épicentre de la contestation au niveau national. Mais la partie n’est pas gagnée pour autant : après la prière hebdomadaire, des dizaines de milliers de personnes rejoignent l’hyper-centre d’Alger. L’étau policier se voit contraint de se desserrer sous la pression populaire. « Nous étions bloqués sur les trottoirs pendant de longues minutes. La foule arrivant de partout, la police a dû relâcher le cordon. C’est comme si nous avions gagné une bataille », nous raconte Hamou Merzouk, jeune journaliste et militant. Dès lors, ce sont des marées humaines qui vont affluer des quatre coins de la capitale.


Clairement influencé par la jeunesse « ultra » active dans les tribunes populaires des stades algériens — et à qui le Hirak algérien doit quelques-uns de ses premiers hymnes —, la marche du 5 juillet est rythmée par des protestations qui, sans trêve, s’enchaînent : « Algérie libre et démocratique », « Le système, dégage ! », « Kabyles et Arabes sont frères, Gaïd Salah est un traître », « État civil, pas militaire ». Mais c’est probablement « Le peuple veut l’indépendance » qui devient — contexte oblige — le slogan vedette


Même si c’est une victoire que la rue semble célébrer, nul ne verse dans le triomphalisme. Chacun le sait : cette date, aussi clé soit-elle, n’est qu’une étape. D’autant que les échos en provenance des espaces de dialogue fraîchement créés interrogent et suscitent le débat. Hamou Merzouk tient à mettre les choses au clair : « Les partis d’opposition ? Il n’y a pas de partis d’opposition aujourd’hui pour nous. Opposition à qui ? À l’armée ? Aujourd’hui, il n’y a que deux camps, celui de ceux qui écoutent le peuple et qui sont avec lui, et, de l’autre, les opportunistes qui en sont les ennemis. »


